L’avis
d’un pro des grand projets « culturels»
sur la rénovation du Zoo de Vincennes
L’appel d’offre lancé par le Muséum exige
la consultation d’ingénieurs culturels
et touristiques. De fait, le Zoo de Vincennes est aussi un parc de loisirs
scientifique.
En dehors de tout cadre institutionnel, sans avis diplomatique à
rendre à un donneur
d’ordres, Arca Majore a donc lancé des interviewers vers
des ingénieurs culturels
et touristiques auxquels elle a demandé leur avis sur le Zoo
de Vincennes.
Interview de Gilles Guyomard, dirigeant de la société
« Contours »,
membre du Syndicat national de l’ingénierie loisirs-culture-tourisme.
Contours a travaillé sur le Futuroscope, a audité Vulcania,
a mené la réflexion sur la tranche d’extension d’Océanopolis,
compte depuis 12 ans
parmi ses clients la Compagnie des Alpes (actionnaire principal :
la Caisse des Dépôts et consignation), qui gère
(entre autres) le parc Astérix.
Propos libres, très créatifs, mais très francs
aussi, de Gilles Guyomard.
Et lisez notre commentaire en fin d'article.
ARCA MAJORE : « Quelles sont vos réflexions
sur cet appel d’offre lancé
par le Muséum d’histoire naturelle ? »
Gilles Guyomard : « Je connais très mal le site. J’ai
cependant été consulté informellement
par le Muséum. Sur le Zoo, j’ai donc un point de vue général.
En bref, il n’y a que deux montages possibles : soit un financement
public à 100 %,
et là je n’ai pas de remarque car le Muséum fait
ce qu’il veut.
L’autre solution, soutenue par l’actuel directeur général
du Muséum, est le partenariat public-privé
(le « PPP »), qui pose un problème. Souhaiter un
PPP, c’est dire que l’on cherche à avoir
le financement d’une partie de l’exploitation par les clients.
Aussi, ne peut-on plus imaginer le projet
de la même manière… Cela implique de travailler avec
le privé dès le départ, dès la conception,
car il faut impérativement que l’on trouve les grands équilibres
de gestion.
Pour le Zoo, il y a l’option où le Muséum dit :
‘‘ Je n’ai pas les moyens ’’.
Par conséquent, se pose la question de savoir qui sera l’opérateur.
Or, cette question
est un peu taboue [NDLR : on parle de Bouygues associé à
une grande banque].
Le Muséum est une grande institution très délabrée,
qui n’est pas ‘‘ orientée clients ‘’,
qui est dirigée par une bureaucratie, dispose d’un personnel
pléthorique, peu efficace,
au fort absentéisme. Aussi, si vous souhaitez faire entrer le
privé pour développer le Zoo,
il va falloir faire une révision déchirante, partager
la gestion. Il faudra que les chiffres,
les stratégies, soient arbitrés par le marché.
»
ARCA M. : « Concrètement, comment
se passe l’appel d’offre ? »
G.M. : « Aujourd’hui le Muséum s’est engagé
dans un concours d’architecte,
plus une procédure de consultation associant des juristes.
Mais ce ne sont ni les architectes, ni les juristes, ni
les ingénieurs financiers
qui vont trouver comment équilibrer
financièrement le Zoo !
Par ailleurs, il s’agit d’un grand site, qui appartient
pour le sol à la Ville de Paris.
Ensuite, le Muséum ne dispose pas de crédits propres puisqu’ils
sont dans les administrations
de tutelle. J’ai en fait des difficultés à comprendre
le projet, faute d’informations. »
ARCA M. : « En avril 1999, le Muséum
associé à la Mission interministérielle pour les
grands travaux, sous la houlette du professeur Del’Humey, établit
le devis de la rénovation
du Zoo de Vincennes : la fourchette est comprise entre 90 et 150 millions
d’euros.
Or, ce srait plutôt 75 millions d’euros
[voir note de bas d'interview].
Que pensez-vous de toute cela ? »
G. M. : « Je ne répéterai aucun chiffre, mais il
est vrai qu’ils circulent…
La seule question pertinente, c’est la montant du loyer qui sera
fourni par le Muséum à l’opérateur
privé. En ce qui concerne le PPP, il faut savoir que c’est
une fonctionnalité technique pour s’assurer
de la fonctionnalité d’un bâtiment qui va être
livré, qu’il doit être justifié par une urgence
exogène
(ce n’est pas le cas ici) ou par la complexité : or, il
n’y a pas non plus de complexité, sauf si il y
avait une complexité du montage, si l’on mixait par exemple
des centres de profit divers et variés…
Je ne sais pas en fait quelle est la justification actuelle.
Et quel sera le périmètre de ce PPP ? La gestion des fluides,
l’entretien de l’ascenseur comme
celui du Grand rocher qui n’a jamais marché… ? Dans
le PPP, on achète un service, mais pas
un bien : par exemple, monter les gens en haut du Grand rocher, la gestion
de la maintenance,
la nourriture des animaux, l’eau, des missions de sécurité,
du gardiennage.
La seule chose que l’on ne peut confier, c’est la gestion
commerciale du service public – si ses gains
dépassent ceux du loyer [NDLR : la politique tarifaire, la politique
promotionnelle, bref tout ce qui
concourt à faire venir des visiteurs]. Si les revenus commerciaux
dépassent le loyer, cela ne peut
être fait que dans le cadre d’une délégation
de service public, dont il existe plusieurs types
(régie, affermage, concession). Par exemple, 80 % des sociétés
de remontées mécaniques
sont sous ce statut.
Ce que je sais, c’est que le problème numéro
un de ce projet est son calibrage
commercial : quelle fréquentation, à quel prix, pour quel
niveau de ressources
et quel niveau d’investissement ? C’est une question qui,
par essence,
ne peut être posée aux partenaires du PPP…
Ce qui ne fait pas de celui-ci un mauvais choix mais pose problème
car cela manifeste
un doute sur sa propre capacité à agir. »
ARCA M. : « Ce que vous dites est très
impressionnant et relaie les impressions, par exemple,
d’un Alain Trautman [NDLR : le président du collectif des
chercheurs qui a mené
la fronde contre les restrictions budgétaires], certes dans un
contexte différent, mais aussi
confronté à l’absence de volonté, de réflexion
stratégique et, hélas parfois, de compétence.
Pour notre part, quand un ministre dit un beau jour qu’il donnera
60 millions d’euros,
nos amis se prennent la tête à deux mains car on fait tomber
un chiffre sans réflexion
d’amont pour répondre à la double urgence médiatique
que représentent l’arrêt de travail
du personnel du Zoo et la médiatisation de notre concours virtuel,
présidé par Jean-Louis
Etienne, et invité au Palais de la Porte Dorée par le
Ministère de la Culture. Il n’y aurait
pas à hasarder des chiffres dans un contexte de crédibilité.
On dirait alors ‘‘ On étudie ’’
et tout le monde saurait que cela est vrai. Car, si je ne m’abuse,
il y a des ratios
d’investissement pour les parcs à thème scientifique,
il y a une concurrence exogène.
Car, le Zoo, c’est bien cela, c’est un parc à thème
scientifique ? »
G.M. : « On est certes dans un parc animalier, un parc à
thème scientifique, mais ces parcs
n’ont pas besoin d’un gros ratio de renouvellement d’investissements
[NDLR : pour garantir,
par de nouvelles ‘‘ attractions ’’ l’intérêt
du public, année après année]. Il y a néanmoins
un investissement primordial à faire.
Je prends un exemple : la somme du prix facial du billet entrée
adulte plus du panier moyen
de dépense dans le parc [NDLR : billetterie + restauration +
boutiques] représente 20 euros,
soit 20 millions de chiffres d’affaires pour un million de visiteurs
(chiffre probable de fréquentation
d’un zoo rénové). Le privé attend, dans ce
cas, un rendement de 10 %. Donc le loyer sera
de 2 millions d’euros par an. Si l’on est brillantissime,
si l’on est un champion de la compression
de personnel, on arriverait à investir au départ 60 millions
d’euros... Donc le PPP ne sera
jamais qu’une contribution.
Un Zoo, ce n’est pas comme Disney, on peut en faire pour des tarifs
complètement différents.
La cause de ces écarts énormes, c’est le poids du
bâti... »
ARCA M. : « Comment réduire alors
la facture initiale ? »
G.M. : « Dans ce que montrent les lauréats de votre concours
virtuel, le poids du bâti est très élevé.
La Bourbançais [NDLR : zoo d’un châtelain, près
de Rennes] est un zoo pas cher, où le patron
conduit lui-même le bulldozer chaque hiver... Et c’est un
zoo très sympathique.
Prenons les serres : s’il s’agit de serres industrielles
avec des fermes très hautes et des caractéristiques techniques
bien identifiées, ou si elles sont très architecturées,
le coût évolue dans des ratios de 1 à 10.
Pour vous donner un exemple, nous venons de travailler sur Vulcania
: c’est un investissement
de 110 millions d’euros, dont 10 % seulement étaient consacrés
aux attractions et 90 % aux bâtiments.
En général, les opérateurs provés font du
bâtiment industriel avec une façade bien mise en scène
et
mettent tout leur argent dans les attractions.
Aussi peut-on prolonger cette logique pour un zoo... ou mettre tout
son argent dans une œuvre d’art ! »
ARCA M. : « Notre perspective n’est pas une réduction
de l’investissement initial du Zoo.
Par un zoo spectaculaire, nous militons pour un Muséum aux moyens
multipliés pour
nous rendre apte, en tant que société, à surmonter
les crises climatique et de la biodiversité.
Et, en attirant ainsi l’attention, nous cherchons à convaincre
(et nous y arrivons
individuellement) dans les cabinets ministériels que, par ce
biais, un gouvernement
rallierait une part au moins de l’opinion publique ‘‘ verte
’’. Enfin, en attirant l’attention
vers ce lieu, nous cherchons à regrouper les bio-entreprises
innovantes autour du Bois
de Vincennes, car c’est un secteur économique qui, un jour,
pensons-nous, pèsera
comme la Défense nationale. »
G.M. : « Quand on fait un métier, il faut le faire à
fond.
Par exemple, le métier d’accueillir le public. Ici, l’on
veut en faire plus que ce que les clients
sont susceptibles d’entendre en première attention. Il
n’y a pas d’intérêt à tout mélanger,
à confier aux scientifiques le commercial et inversement.
Il n’y a pas un seul scientifique qui dirige les grands zoos espagnols,
mais ils sont très présents
dans les missions de ces établissements. Ainsi, par exemple,
du Zoo de Barcelone, qui vit sans
financement public (plus d’un million de visiteurs), est géré
par un ‘‘ patron ’’, a des équipes
commerciales, prospecte les tour-opérateurs, refuse toute gratuité,
ce qui ne l’empêche pas
d’avoir ses scientifiques et étudiants qui travaillent
sur des projets. Le zoo met à disposition
des équipements, c’est une relation contractuelle.
Je pense que c’est une erreur de croire qu’un scientifique
peut gérer un équipement et qu’un
zoo peut vivre indépendamment de la communauté scientifique.
Il faut trouver une répartition
des rôles claire.
Ce qui est sûr, c’est qu’on ne trouvera jamais de
‘‘ pigeon ’’ pour payer ! »
ARCA M. : « Notre projet, qui propose une
union Zoo–Aquarium tropical
de la Porte Dorée-Lac Daumesnil, a-t-il un sens économique
? »
G.M. : « En ce qui concerne la partie ‘‘ lagon tropical
’’, le problème est très complexe
car, dans la zone de chalandise parisienne, par essence, un équipement
animalier doit pouvoir
trouver sa fréquentation et son prix... Combien de billets en
plus cela va-t-il générer ?
Quel va être le prix de ces billets ? S’il s’agit
de 30 euros, il faudra une énorme qualité de produit,
type Disney, donc cela va être difficile... On peut avoir des
doutes, se retrouver avec un gros aquarium
cher à l’investissement et au billet, car nous sommes ici
sur des techniques coûteuses. Le minimum,
c’est 60 millions d’euros, le maximum c’est 100 millions,
en espérant 1,5 million de visiteurs
en plus du Zoo. [NDLR : Arca Majore va à présent raisonner
sur une extension moins coûteuse.] »
ARCA M. : « Peut-on associer physiquement
Zoo et Lagon tropical ? »
G.M. : « Ce n’est pas sûr. Sur un cas équivalent,
les gens de Disney se sont plantés
lors de la création du deuxième parc. La synergie des
deux n’est pas évidente, d’autant
qu’aujourd’hui il est compliqué de monter un beau
projet de parc animalier... C’est d’autant
moins gagné que le projet apparaît dans un contexte défavorable,
avec un dossier compliqué...
Cependant, l’exemple de Barcelone, ou un grand aquarium a été
créé a côté du Zoo, montre
que celui-ci a gagné 1 million de visiteurs sans que le Zoo voit
diminuer les siens. Cependant,
cela s’est fait dans le contexte de la grande opération
de rénovation de la ville d’en bas
(les ramblas), avec une requalification urbaine majeure. »
ARCA M. : « Sachant que nous travaillons
aussi sur la requalification ‘‘ durable ’’
de l’Est parisien et de l’Ouest du Val-de-Marne, notons
les convergences...
Et la synergie Zoo-Lac Daumesnil ? »
G.M. : « Elle est plus riche de potentiel, mais suppose des méthodes
de tarification originales :
– soit un billet d’entrée élevé à
la journée avec liberté totale dans le parc ;
– soit une tarification selon la méthode du Jardin d’acclimatation
du Bois de Boulogne,
avec une entrée faible et une tarification à la consommation.
Comme cela se fait au Tivoli
(Copenhague), le plus vieux parc d’attraction européen.
Un grand ensemble incluant lac, espaces variés, zoo
– sachant que dans ce grand
ensemble on a différentes activités de loisirs à
caractère récurrent, avec visites
de pavillons – rend plus facile la revisite, qui est le gros problème
des parcs.
En ce cas, on améliore le niveau de fréquentation.
»
ARCA M. : « Arca Majore a travaillé
ainsi. Aucun des schémas d’organisation du site
de Vincennes qu’elle propose n’a été laissé
au hasard. Il s’agissait dès le début de pouvoir
proposer un prix global élevé ou d’encourager les
revisites. C’est une anticipation crédible
que nous avons livrée au public parisien. Le but, une machine
qui produise des moyens
financiers pour le Muséum et améliore le cadre de vie
des riverains.
A présent, quelle est votre conclusion ? »
Gilles Guyomard : « Soit les pouvoirs publics ont les moyens,
soit ils ne les ont pas.
Dans ce dernier cas, on arrête d’avoir un zoo à Paris.
Autrement dit, soit on essaye de trouver des équilibres différents
et novateurs qui permettront
d’avoir un gros financement, soit on fait un autre projet.
Vos lecteurs doivent savoir que lorsqu’on lance un
concours d’architecture, pour éviter
les dérives du maître d’œuvre il faut une maîtrise
d’ouvrage très forte, qui sait exactement
ce qu’elle veut, dispose d’un programme très verrouillé.
En effet, si en cours de route
une vision différente de la façon d’exploiter voit
le jour, l’architecte continue
imperturbablement son projet.
Une dernière chose : pourquoi ne pas laisser le Zoo de Vincennes
devenir un petit site
pas cher mais qui rapporte beaucoup, une ‘‘ cash-machine
’’ à l’exemple de Central Park,
qui subventionne x zoos autour de New-York ?
Le dernier point, c’est enfin de dire à quel moment on
aura l’argent ! »