Le génie des machines vivantes,
où comment (enfin !) se baigner à Paris


En 2003, ARTE diffuse Terre nouricière, un documentaire de Jean-François Vallée,
produit par Lilith Production. Mais quel rapport entre Zoo et machine vivante ?
Si à Vincennes, on va reproduire des écosystème, les machines vivantes leur permettent
de s’auto-épurer en produisant en plus des végétaux, en nourrissant poissons, oiseaux,
micro-organismes, etc. Comme la machine vivante se fonde sur un système aquatique,
le lac Daumesnil, tout proche du Zoo, semble en fait avoir été posé là pour cela,
faire que nos spécialistes du Vivant travaillent tant sur la recréation des écosystèmes
que sur leur autoépuration. Autre miracle, plus important pour les Parisiens :
l’eau produite serait si pure que l’on pourrait probablement s’y baigner,
après une succession de micro-paysages aquatiques enchanteurs.
Et cela sera immensément populaire.
Compte-rendu intégral de l’intervention de John Todd
dans Terre Nourricière (seuls les intertitres sont de la rédaction).

Quand une simple mare devient machine...
L’entreprise du biologiste John Todd est [...] futuriste. Il construit des machines naturelles autonomes,
sortes de jardins lacustres que l’on peut mettre au travail n’importe où. L’aventure a débuté très tôt,
avec les Nouveaux Alchimistes.
L’expérience prenait pour point de départ une mare sans vie. La mare se peuple de débris organiques,
apportés par le vent. Par étapes successives, apparaissent herbes, arbres et arbres fruitiers. La nature
s’organise toute seule. Un principe qui va guider la vie et l’œuvre de John Todd.
C’est dans la campagne française, où existent encore des petites fermes diversifiées, que John Todd
trouve encore un idéal possible de l’équilibre entre l’homme et la nature.
John Todd : « Ici, c’est un peu le paradis terrestre, le jardin d’Éden. J’ignore pourquoi, car le sol
n’est pas particulièrement riche. Le climat n’a rien de spécial, mais tout est harmonieux ici. Le rapport
à la terre est différent dans cette zone, parce que le paysage est humain. Il y a des arbres fruitiers :
cerisiers, noyers. Il y a du bétail : des moutons et des vaches. Mais cela semble différent parce qu’il y a
une sorte d’état sauvage sous-jacent. Si nous parvenons à décoder cet état sauvage et à agir en suivant
ses principes à la lettre, alors il ne fait aucun doute que l’humanité pourra réduire son empreinte négative
sur la planète, sur une période d’une vingtaine d’années, d’au moins 90 %. »
Pour John Todd, l’agriculture industrielle est responsable de la dégradation de la moitié des terres
arables, cause majeure de la pollution des rivières et de la disparition de la biodiversité.
Installé au Vermont, il y a quelques années, John Todd réalise que la mare des Nouveaux Alchimistes
peut être une eau contaminée, un égoût ou un étang toxique. Les polluants peuvent être dégradés,
transformés, et l’eau assainie par un écosystème, une nature appropriée et donner une récolte en prime.
La technologie des machines vivantes va naître.

Une double énergie : le soleil et le déchet organique
John Todd : « On peut utiliser les algues et d’autres organismes pour nettoyer les eaux polluées
et décomposer les substances toxiques. Le moteur écologique fonctionne à la lumière solaire.
Il faut donc intercepter cette lumière à travers un maximum de végétaux différents,
qui sont capables de la transformer.
Des plantes hautes aux arbres, aux plantes microscopiques, comme les algues, [celles-ci] ne se contentent
pas de transformer la lumière solaire et d’absorber le gaz carbonique, mais produisent des éléments
chimiques dans leurs racines, comme des sucres ou d’autres composés qui à leur tour vont nourrir
les populations de bactéries et de champignons qui vont décomposer les substances dangereuses
contenues dans l’eau. »

Quand une serre devient une machine vivante
[ici John Todd fait visiter la serre, contenant une série de cuves reliées par des tuyaux,
le tout sous une foison de plantes de toutes les tailles. Nous avons demandé les croquis].
« L’eau commence son voyage qui la transforme d’eau d’égoût en eau propre en 2 jours et 9 heures.
Si vous regardez par là, vous voyez que les plantes reposent sur des treillis. Ce sont des treillis en forme
d’entonnoir. L’eau turbulente arrive de l’extérieur et vient baigner doucement les racines, ce qui permet
aux plantes d’être dans un environnement calme.
Puis l’eau reflue de l’anneau externe par un système de pompage, vers la cuve interne, qui est remplie
presque à ras-bord de cailloux volcaniques. Sur ces cailloux vivent des micro-organismes que
l’on trouve au fond des lacs.
L’eau tourne dans cet environnement qui fixe la majorité de l’azote, tandis que les déchets solides sont
absorbés par les micro-organismes vivant sur les filtres. »
« Notre projet écologique consiste à collecter le maximum d’organismes différents et de les rassembler.
On leur dit : « C’est à vous, vous faites ça depuis 3 milliards d’années, et beaucoup mieux que nous... »
C’est une longue chaîne alimentaire et, de cuves en cuves en cuves, à chaque étape du processus,
des micro-organismes spécifiques traitent l’eau et les déchets dans l’état où ils se trouvent.
En quelque sorte, ce système reproduit l’intelligence de la nature, capable de s’auto-organiser,
s’auto-construire, s’auto-réparer et s’auto-réguler.
Nous, ingénieurs, ingénieurs écologistes, devons simplement lui procurer le bon environnement vital. »

De cuve en cuve, sous les feuillages, les fleurs et le vol des abeilles
« Cette cuve est un clarifieur et il n’y a aucune aération. N’importe quel résidu qui se trouve dans l’eau,
comme les bactéries mortes, tombe au fond. Cette boue ainsi formée, nous la recyclons pour qu’elle
se dégrade davantage, et nous en récupérons une partie dans des cuves, où elle sert de nourriture
à des poissons comestibles. À la fin, l’eau qui sort est épurée, débarrassée de tout agent pathogène
et de déchets organiques, presque entièrement. »

Une machine sans gaz et sans odeurs !
« S’il n’y a pas d’odeur, c’est parce que nous avons installé des systèmes écologiques qui éliminent
les odeurs de soufre, d’œuf pourri, d’égoût. Ce panier suspendu au-dessus de la cuve est rempli
de compost, de champignons, de bactéries et de plantes. Nous utilisons la nature pour éliminer
les odeurs. Si on sait éliminer les odeurs, on peut installer des systèmes d’épuration dans
les immeubles, dans votre salon si ça vous dit ou dans votre entreprise. »

Produire de la terre pour produire des aliments
L’organisation de John Todd s’appelle maintenant Ocean Ark. La technologie des machines vivantes
commence à essaimer un peu partout dans le monde : Hawaï, Norvège, Hongrie. Plus récemment,
une machine vivante a été mise en chantier pour recycler les eaux usées d’un complexe résidentiel
dans une banlieue de Londres.
À côté des machines vivantes, John Todd applique son alchimie à d’autres domaines. Par exemple,
transformer naturellement les déchets toxiques d’élevages industriels ou de brasseries en terreau fertile.
« Ce que nous faisons, c’est de transformer les déchets d’une brasserie, qui sont mélangés à d’autres,
à de la paille. Puis ils sont pasteurisés et ensemencés de spores de champignons. Les sacs sont transférés
dans une pièce où les champignons sont cultivés et récoltés. Les sacs, après la récolte, sont remplis
d’un matériau vivant remarquable. Ce matériau sert à cet élevage de vers de terre.
Regardez, cela regorge de vers de terre partout et les vers sont de grande valeur. C’est la nourriture
des poissons. Mêlés à des plantes, ils nourrissent les poissons.
Nous récupérons cette matière crée par les vers, nous retirons les vers et nous cultivons, sur cet humus
très riche, toutes sortes de plantes. Par exemple, ceci est un mélange de différentes variétés de salades.
L’humus est si complet qu’il n’a besoin d’aucun fertilisant. »

Une idée et des brevets à l’origine d’une entreprise
« Nous sommes passés de quelques projets à de nouvelles technologies brevetées, dont les technologies
de restauration, qui commencent à se répandre dans le monde entier. La technique de restauration
a été la dernière. C’est une technologie flottante, une sorte de moteur écologique flottant que l’on place
sur de larges plans d’eau, des lagunes, des mares d’épandage, des réservoirs d’eau potable, pour
en améliorer la qualité. Nous avons développé cette technologie pour les eaux d’abattoirs, pour traiter
les égoûts d’une ville en Chine, où nous avons commencé sur 83 km de canaux le processus
de nettoyage. Ce système de restauration, au Maryland, utilise 25 000 plantes. C’est énorme. »

Vers un bio-urbanisme et une nouvelle économie
« Au bout de 25 ans, nous reparlons de bio-urbanisme, des immeubles comme organismes,
où nous partageons nos bureaux et nos chambres, littéralement ou non, avec des ruisseaux,
des sources et des arbres. Serait-ce un retour au jardin d’Eden ? »