Un pôle centré sur les sciences
du Vivant à l’est de Paris ?


Polytechnicien, docteur ès lettres, ancien directeur de l’Institut
d’aménagement et d’urbanisme de la région parisienne (devenu
depuis l’Iaurif), Pierre Merlin a participé à l’élaboration du
premier schéma directeur d’aménagement régional (Sdaurp, 1965) et à la
planification du RER et des villes nouvelles. Il a ensuite été professeur
d’urbanisme, a dirigé l’Institut français d’urbanisme, a été élu
vice-président puis président (1976-1980) de Paris VIII-Vincennes, puis
estdevenu professeur à la Sorbonne de 1987 à 2003. Il a présidé de 1982
à 1983un groupe interministériel à l’aménagement touristique et
a été chargé de mission au logement social à Paris.
Auteur de 52 livres sur l’urbanisme, l’aménagement, les transports et le tourisme,
il est aujourd’hui professeur émérite à l’Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)
et Président de l’Institut d’urbanisme et d’aménagement de la Sorbonne.
Il est devenu en avril 2005 président d’Ile-de-France Environnement,
succédant à Marc-Ambroise Rendu.
Nous lui avons demandé un article sur ce thème : le Zoo de Vincennes et le Muséum pourraient-ils être deux institutions structurantes pour le développement
de l’Est parisien et de l’Ouest du Val-de-Marne ?

Le nouveau schéma directeur de la Région Ile-de-France
L’élaboration du nouveau Schéma directeur de la région Ile-de-France (Sdrif), qui commence
maintenant, est une occasion unique de repenser la structure de la région. Le Schéma directeur
de 1965 (approuvé en 1976 après révision) avait su le faire, notamment en proposant
les villes nouvelles et le RER. Celui de 1994 était en revanche décevant sur ce plan.
Ile-de-France Environnement (IDFE) a pris position à travers ses « 200 propositions, contribution
à un projet pour l’Ile-de-France ». Dans ce document, IDFE prend clairement position pour
le polycentrisme, mais en souhaitant, autour de Paris, un nombre limité de pôles multifonctionnels, concentrés dans l’espace et bien desservis par les transports en commun. En fait, le choix de
ces pôles est largement contraint : les centres des villes nouvelles, plus Versailles et La Défense,
qui existent déjà, Roissy-CDG et Orly-Massy-Saclay qui se sont imposés par la présence
d’équipements majeurs (aéroports internationaux, concentration de transports en commune
et, pour le second, de centres de recherche).

Un polycentrisme encore insuffisant
Mais il subsiste deux manques : dans le nord proche (dans la Plaine Saint-Denis ou au Bourget ?)
et dans l’est proche.
Ces deux pôles à faire émerger sont les plus difficiles à concevoir et à réaliser. Il s’agit en effet
de secteurs longtemps délaissés, stigmatisés par leur passé industriel qui s’affiche aujourd’hui
dans le paysage à travers des terrains en friches souvent pollués. Dans la Plaine Saint-Denis,
la construction du Stade de France a commencé à modifier l’image de cet espace. Est-il possible
d’imaginer dans l’est proche, autour et au sud du bois de Vincennes (secteur dit Seine-Amont)
un processus semblable à l’initiative des pouvoirs publics, relayés par des décisions d’implantation
d’entreprises ?

S’inspirer pour l’Est parisien et l’Ouest du Val-de-Marne de la réussite exemplaire
du pôle scientifique et économique d’Orsay

On ne voit guère de grand équipement comparable, par son rayonnement médiatique, au Stade
de France ou à un aéroport international qui pourrait être implanté dans ce secteur. Mais un autre
cas peut suggérer une démarche originale. C’est celui de « l’Axe sud », idée lancée en 1965
dans le premier schéma directeur régional, reprise par la suite par les élus locaux, sous l’impulsion
du sénateur Noë. Le pôle Orly-Massy-Saclay est issu de cette démarche. L’originalité
de ce projet résidait dans la place prépondérante accordée aux activités de recherche
et d’enseignement supérieur.
La concentration de l’Université d’Orsay (Paris XI), aujourd’hui la plus en pointe des universités
scientifiques françaises, de l’Ecole Polytechnique (à Palaiseau), des laboratoires du Centre National
de la Recherche Scientifique (CNRS), du Commissariat à l’Energie atomique (à Saclay), puis
de nombreux autres établissements scientifiques et de grandes écoles prestigieuses (Centrale,
HEC, Ecole des Techniques avancées, etc.) a donné à cet espace du sud-ouest parisien
une image de « lieu où souffle l’esprit ».
La liaison rapide et commode avec le Quartier Latin (ligne de Sceaux dès 1939, intégrée en 1977
au RER B) a joué un rôle essentiel. De nombreux établissements publics, mais aussi privés,
de recherche ont voulu s’y implanter. Les entreprises de production et de service y ont vu,
à leur tour, un espace valorisant leur propre image.

Le « coup médiatique » du sénateur Noë
Une publicité utilisant parfois des arguments tout à fait excessifs – le Sénateur Noë n’hésitait
pas à prétendre que la moitié du potentiel scientifique régional, voire national, était concentré
sur l’Axe Sud – a eu des effets certains : cette contre-vérité a été reprise par tout le monde,
y compris par des scientifiques qui n’ont pas pris la peine de vérifier les faits. La réalité
des contacts de proximité entre scientifiques est largement un mythe. Mais, quoi qu’il en soit,
cette réévaluation d’un espace jusque-là sans tradition d’activités de pointe s’est répercutée
sur l’habitat et sur les classes sociales qui s’y sont installées à leur tour. A tel point que le
Sud-ouest est devenu aussi attractif, tant pour les entreprises que pour les ménages,
que l’Ouest l’était depuis un siècle au moins.

Il faut un Noë pour l’Est parisien
Peut-on reproduire un tel processus à l’est de Paris ? Il ne peut évidemment s’agir de repéter
une telle opération, y compris dans sa dimension publicitaire. Mais il est certain qu’au cours
de la prochaine génération les centres de recherche et d’innovation seront les moteurs de la
transformation de l’économie, mais sans doute aussi de l’espace. Rien n’interdit de penser
que les sciences du vivant, trop délaissées au cours de la période récente, et les biotechnologies,
dans lesquelles notre pays doit éviter de se laisser distancer, puissent être le moteur d’un pôle
scientifique qui serait lui-même le foyer d’un pôle urbain centré sur les recherches et
les productions issues de celles-ci.
De ce point de vue, une opportunité existe : la nécessaire rénovation du Zoo de Vincennes,
dont la conception date de plusieurs générations et qui menace ruine. Le projet à mettre au point,
probablement entre le Muséum national d’histoire naturelle, qui en assure la responsabilité
scientifique, la Ville de Paris, qui est propriétaire des lieux, avec l’aide de l’Etat (ministères
de la Recherche, de la Santé et de l’Agriculture) et de la Région, pourrait offrir un terrain
exceptionnel d’expérimentation aux scientifiques du Muséum, mais aussi des universités scientifiques
de Paris VII (qui doit s’installer sur le site proche de Tolbiac), de Paris VI (le campus de Jussieu
n’est pas très éloigné), voire d’autres établissements (les universités de Paris XII-Val de Marne
et de Marne-la-Vallée sont facilement accessibles, l’Institut National des Sports est dans le bois
de Vincennes et l’Office national des forêts à proximité immédiate).
Pour qu’un tel projet puisse voir le jour, il faut en populariser l’idée dans les milieux scientifiques
des sciences du vivant et des biotechnologies, obtenir quelques premières décisions significatives
et symboliques (le Zoo de Vincennes peut être l’occasion de la première de celles-ci), parvenir
à ce qu’un grand nom de la recherche dans ce domaine (prix Nobel, membre de l’Académie
des Sciences ou professeur au collège de France par exemple) apporte au projet sa crédibilité
scientifique et qu’un homme politique local d’envergure le reprenne à son compte.
Rien de tout cela ne sera aisé, mais ce projet ne mérite-t-il pas d’être étudié et soutenu
par ceux qui jugent décisives pour l’avenir les sciences du vivant et les biotechnologies
et indispensable au futur de l’Ile-de-France son rééquilibrage vers le nord et vers l’est ?

Pierre Merlin